Clarisse et le singe en morceaux est le cinquième volume des aventures de Côme Léonard.
Le livre est illustré par Sophie Ainardi.
SOMMAIRE
I) Une semaine à
Paris.
II) Une soirée chez
des amis.
III) La nuit de la
saint Parfait.
IV) Une minute de
silence.
V) Un week-end à la
campagne.
VI) L’éternité avec
Proust.
VII) Un moment
d’égarement.
VIII) Un mauvais quart d’heure.
IX) Une seconde
d’inattention.
X) Vingt-quatre
heures en garde à vue.
XI) Le jour d’avant.
XII) L’instant de
vérité.
1. Une semaine à Paris.
Bottes à talons, jupe
légère beige, tee-shirt aux multiples couleurs délavées, décolleté dans le dos.
Jolie peau, parsemée de
taches de rousseur. Jolies jambes. Jolis cheveux, soyeux, longs, libres, châtains,
agrémentés de mèches blondes.
Jolie fille.
Elle fit escale à la
devanture d’une bijouterie et n’en
bougea plus, faisant mine de détailler les bracelets de pacotille et les
boucles d’oreilles fantaisie. Il arriva presque à sa hauteur et s’absorba dans
la contemplation d’une collection de montres. Tous les prix, pléthore de marques :
Diesel, Louis Pion, Tissot, Swatch...
Chacun détaillait l’autre,
son image par vitre interposée, ou l’original par de furtives œillades
latérales....
... il éprouvait le sentiment du coureur qui n’a pas entendu le coup
de pistolet. Qui est resté dans les starting-blocks, un genou au sol et les
doigts sur la craie de la ligne de départ, tandis que tous les autres autour de
lui, sa femme, sa fille, ses amis les plus proches, s’étaient soudainement détendus,
élancés, mis à courir comme des dératés et ne seraient bientôt plus que des
points à l’horizon.
On se sent un peu con,
immobile, dans les starting-blocks. Seul, la poussière retombée...
...
Elle arrivait, s’arrêtait, se retournait une dernière fois.
Toujours là. Sur ses
talons.
Il la dépassa sans un
regard et disparut parmi les badauds.
Clarisse grimaça :
Côme, poète, pouvait s’émerveiller au spectacle d’une jolie fille, la suivre
dans la rue, observer sa démarche chaloupée, la détailler, ne serait-ce que quelques
minutes, cela suffisait à enchanter sa journée.
Mais ce mec-là, non.
Non, lui n'avait rien d'un poète.
Dix-sept
heures.
L’ascenseur s’immobilisa bruyamment au
deuxième sous-sol. Clarisse s’était éclipsée plus tôt qu’à l’habitude afin de
poursuivre ses palabres avec Côme. Elle pénétra dans le parking, se dirigeant
sans hâte vers sa Mini noire, soucieuse mais sans vigilance. Ses pas
résonnaient sur le sol. Arrivée à quelques mètres de la voiture elle aperçut un
rectangle de papier bleu glissé sous l’essuie-glace, côté conducteur et sentit aussitôt,
sans bien savoir pourquoi, la peur revenir en elle.
« Allons,
voyons, une pub… »
Une pub ? Regard circulaire :
l’affichette n’encombrait le pare-brise d’aucune autre voiture.
Elle posa sa main contre sa nuque, glissa
ses doigts crispés dans ses cheveux, resta un instant indécise. Puis se lança, bondit
jusqu’à la Mini, déverrouilla les portes d’un clic et dans le même geste rapide
saisit le rectangle de papier de la main gauche, ouvrit la portière de la main
droite et virevoltant prit place au volant. Elle eut le réflexe féminin de
pédaler, jambe gauche jambe droite jambe gauche, tandis qu’elle tirait sur sa
jupe, remontée dans son mouvement précipité jusqu’en haut des cuisses, en même
temps qu’elle tournait la clé de contact.
<<Grouille !>>
Moteur.
<<Grouille, ma fille, grouille !>>
Le clang
rassurant du verrouillage des portes : protégée ?
Ou piégée ?…
Parcourue
d’un frisson soudain, elle se retourna brusquement pour constater avec
soulagement, que personne ne se cachait, allongé derrière elle, dissimulé par
la banquette…
Elle
avala un bon bol d’air, expira, démarra. Ses pneus crissèrent sur le sol peint
et luisant de l’interminable colimaçon qui la remontait vers la surface. Au
rez-de-chaussée, devant la barrière, elle baissa sa vitre le moins possible,
introduisit son ticket dans la fente…
« Vite ! »
— Merci de votre visite, répondit la machine, après
avoir avalé le carton.
« Plus vite ! »
La
barrière se leva, elle la franchit, libre !
Sauvée,
presque euphorique. La Mini filait sur la chaussée humide, il avait encore plu dans l’après-midi.
Clarisse
retourna le papier qu’elle tripotait entre ses doigts pour y découvrir un
texte imprimé :
Capturée,
il l’emmena dans sa tanière, au cœur du pays natal. En devenant pour un temps
tout à la fois la plus douce et la plus passionnée des amantes, elle retarda
sensiblement l’échéance. En récompense, lorsque l’heure du châtiment fut venue,
il lui accorda de choisir elle–même son supplice….
Horst.
Elle
eut un haut-le-cœur.
« Un détraqué, voilà ce qu’il est. »
Horst ?
Oui, ce mec avait bien une tête à s’appeler Horst. Allemand, peut-être.
« Aïe
aïe aïe ! Ce malade connaît ma voiture, il est venu dans mon parking… »
Pire :
peut-être se trouvait-il encore là, lorsqu’elle était arrivée. Peut-être
l’observait-il, dissimulé dans l’ombre, tandis qu’elle démarrait…
Surtout,
ne pas s’affoler. Rester calme et sereine, à la maison ne rien montrer à Côme
de son désarroi.
Rappeler
Aimé. De suite.
Clarisse
saisit son portable et le porta à son oreille.
— Bolduc, fit la voix si calme, grave
et rassurante du commissaire.
— Aimé, c’est Clarisse. Je… J’ai…
Feu
rouge. Plus rapide qu’à l’ordinaire, elle dut freiner plus fort, la Mini
glissa, mordit sur les bandes blanches du passage piéton avant de s’arrêter.
— Aimé, j’ai de nouveaux ennuis…
Une
ombre apparut, frappa brutalement trois coups à la vitre, elle sursauta, poussa
un cri.
Ce
n’était qu’un policier, qui, après l’avoir courtoisement saluée, lui fit, d’un
moulinet de la main, signe de baisser sa vitre. Elle s’exécuta.
— Vous savez qu’il est interdit de
tél…
— Commissaire, s’écria-t-elle, je vous
passe quelqu’un !
Et,
nerveuse, elle fourra le téléphone dans la main du flic.
*
On sabra le champagne. C’était la tradition, Aimé
décapitait les bouteilles à l’aide d’une navaja, pièce à conviction illégalement
confisquée d’une horrifique enquête, remplie de sang et de têtes tranchées, au
cours de laquelle il avait perdu un homme et sauvé in extremis sa propre vie en
abattant le tueur, surnommé le boucher des Buttes-Chaumont. Prise de guerre, la
navaja d’Aimé ne tranchait plus désormais que les cols de verre.